Yassine Jennani : Entre poésie, marbre et passions artistiques

Aujourd’hui, nous avons l’immense privilège de plonger dans l’univers poétique et engagé de Yassine Jennani, un nom qui résonne de plus en plus fort sur la scène artistique marocaine. Né à Rabat, Yassine est bien plus qu’un simple poète et slameur. Cet artiste aux multiples talents, titulaire d’une licence en droit est également un artisan du marbre marocain moderne et traditionnel. Sa palette artistique s’étend de l’écriture à la peinture, en passant par la gravure sur pierre et marbre, faisant de lui un créateur aux facettes infinies.

Dès son plus jeune âge, Yassine s’est plongé dans le monde de la poésie et de l’écriture. Après 2019, il se fait connaître du grand public en enregistrant plus de 23 poèmes en prose mis en musique. Sa manière unique de déclamer ses textes lui vaut une reconnaissance particulière. Passionné de poésie en prose et de jeu scénique, il anime aussi des ateliers de théâtre à Ouazzane, partageant son amour des arts avec les jeunes.

En 2024, Yassine Jennani marque l’histoire du slam au Maroc en devenant champion de la 4ème édition de D’KLAM. Cette victoire lui permet de représenter le Maroc à la Coupe du Monde de Slam Poésie et à la Coupe d’Afrique de Slam-Poésie. En tant que membre actif de l’association Slam’aroc, il s’investit avec ferveur dans la transmission de la flamme du slam. Il inspire les jeunes à s’approprier cet art oratoire.

Militant et engagé, sa poésie surprend et touche profondément. À travers ses textes, il exprime les réalités de son vécu, influencé par ses quartiers d’origine, ses amis rappeurs et ses professeurs inspirants. De ses débuts dans les concerts scolaires à ses performances dans des salons poétiques internationaux, Yassine Jennani est une voix puissante.

Afro Slam a eu le plaisir d’interviewer cet artiste exceptionnel, dont chaque mot résonne comme un appel à la réflexion et à l’action.

Ces propos ont été traduits de l’arabe au français par Fatine Moubsit.

A lire : Le slam-poésie : une plateforme d’expérimentations interdisciplinaires

Afro Slam : Peux-tu nous parler de tes débuts dans le monde du slam et de la poésie ?Qu’est-ce qui t’a inspiré à commencer à écrire et à performer ?

Yassine Jennani : Ma mère vient de l’ancienne ville de Ouazzane. J’accompagnais mon oncle aux séances de Samaa-Madih (louanges). J’étais alors simplement auditeur. C’est là que j’ai ressenti un état de transe, presque une séparation de la terre. Les poèmes sur le Prophète Muhammad m’emportaient. Je chantais la mélodie seul, sans comprendre les mots, jusqu’à ce que je transpire. Je me souviens de Wazzan, Moulay Abdullah Sharif, Sidi Ali bin Hamad et Moulay Idriss le Grand Zarhoun.

À 11 ans, lors d’une cérémonie scolaire, j’ai récité un poème pour la première fois. C’était organisé par l’Association familiale pour la culture et le développement dans notre école publique Abdel Malek Saadi à Rabat. Après cette expérience, je me suis éloigné de la poésie pendant quelques années. Puis, en dernière année de collège, j’ai joué dans une pièce de théâtre poétique en arabe classique. Cette pièce, où je jouais un personnage du peuple des cavernes (مشلینیا), a remporté un premier prix régional. Cette victoire m’a rapproché de la poésie et m’a redonné confiance.

Au lycée Al Mansour Al Dhahabi, j’ai commencé à réciter des vers simples en arabe. Pendant que mes amis faisaient du rap, je récitais mes poèmes. Tout le monde me disait : « Yassine, tu vas encore réciter de la poésie ? » Et je répondais : « Oui, je vais encore réciter de la poésie. » J’ai écrit une pièce qui n’a pas été jouée, faute de club de théâtre au lycée. Ensuite, j’ai commencé à fréquenter les salons de poésie et les fêtes. Ma première montée sur scène a eu lieu à Kubaibat à Rabat avec l’association théâtrale Al-Sarraj.

J’ai été invité à déclamer mes poèmes dans divers salons à travers le Maroc. Mais ma découverte du slam s’est faite par hasard grâce à un ami de l’université. J’ai commencé à enregistrer mes poèmes avec de la musique, comme un rappeur. Pour moi, la musique était un simple accompagnement. Je choisissais ce que j’aimais et l’ajoutais. La plupart des musiques étaient des symphonies classiques internationales : Beethoven, Mozart, Chopin, etc.

J’ai enregistré mes poèmes avec le rappeur Oncle Vato et Mehdi DSD. Je suis devenu une partie de leur groupe, représentant Yacoub Al Mansour et Rabat dans le rap et le slam. Je les remercie pour leur expertise et leur soutien technique et artistique. C’est ainsi que les choses ont évolué.

Au milieu de tout cela, j’ai rencontré un groupe d’amis d’Asswat Assaada Bil Watan Al Arabi. J’ai amélioré mon style de récitation en écoutant des poètes célèbres et de différentes nationalités arabes. Mon ami de l’université m’a conseillé de participer au championnat national de slam-poésie D’KLAM 2022. Organisé par l’association Slam’aroc pour sa troisième édition, j’ai été demi-finaliste cette année-là.

Je suis retourné à la marbrerie, étant un artisan marbrier moderne et traditionnel. En parallèle, je me suis engagé dans le mouvement de slam avec l’association Slam’aroc. Je voulais perfectionner mon art et élargir la communauté. Slam’aroc est ainsi devenue essentielle pour moi, codifiant mon approche de la poésie slamée.

Malgré ma disqualification en 2022, je sentais renaître grâce à cette nouvelle voie. Le slam est devenu une nécessité pour moi. J’ai publié mon premier livre, Il est temps – je ne ressemble qu’à moi-même. La couverture est ma peinture Quand le poète souffre. Je l’ai signé à Ouazzane, la ville spirituelle de ma mère où tout a commencé.

En 2024, j’ai participé à la cinquième édition du championnat national de slam-poésie D’KLAM. J’ai remporté le premier prix, ce qui m’a qualifié pour la Coupe d’Afrique et la Coupe du Monde de slam-poésie. J’ai également organisé plusieurs open mics à Rabat et à Casablanca, et dédicacé mon livre au Salon International du Livre en mai 2024.

Les salons poétiques continuent chaque semaine avec des poètes classiques et des amis du groupe Slam’aroc. Ma présence dans ces rencontres prépare également ma participation au Championnat du Monde de Slam poésie en novembre 2024.

Afro Slam : Tu es également artisan du marbre et artiste multifacette. Comment tes différentes passions artistiques s’influencent-elles mutuellement ?

Yassine Jennani : Quand je souffre et que la vie semble injuste, je me dirige vers l’atelier. Là, je plonge entre la machine à découper et les plaques de marbre. Je fais ce que je veux et je crée des œuvres en marbre qui profitent au monde et au client.

Le marbre m’a appris à être prudent. Sa découpe et sa mise en forme demandent de la délicatesse car il est fragile. Je dessine aussi certaines œuvres dans l’atelier. Ensuite, je retourne à l’écriture sous de nouvelles formes, ce qui m’aide à progresser.

J’ai décidé de ne pas cacher mes anciens poèmes. Je les offre aux lecteurs sous forme de récits. Ils pourront ainsi voir mon évolution, d’un poète écrivant des poèmes ordinaires à ce que je suis aujourd’hui, grâce à Dieu et à une ambition utile.

Les arts que je pratique sont interconnectés. L’artisanat et la sculpture sur marbre sont les liens essentiels entre eux. J’adore Tamara (تّمارة), car elle m’apaise des douleurs causées par la société et les situations tragiques du monde après la pandémie.

Pour moi, la satisfaction ultime est d’être dans mon atelier, d’écrire, de dessiner et de créer. En résumé, je suis en paix avec l’idée d’avoir été créé pour travailler et me fatiguer.

Afro Slam : Ton premier recueil de poèmes, « Il est tempsje ne ressemble qu’à moi-même », a été bien accueilli. Quelle est l’histoire derrière ce titre et que représente-t-il pour toi ?

Yassine Jennani : Il est temps avant tout pour moi d’évoluer et de voir évoluer tout ce qui m’entoure : les salons de poésie auxquels je participe, ma communauté, mon pays, mon mode de vie, tout.

Il est temps de soutenir la paix dans le pays, de briser le carcan de la vision habituelle, car ce qui est ordinaire est pour les faibles. Il est temps que le poète de la paix soit présent sur la scène culturelle avec force, de sortir de l’ombre lors de la nuit du tremblement de terre d’Al-Haouz et de le présenter sur la plateforme médiatique au moment du déluge de l’Aqsa…

C’était une vision anticipée et mon sentiment de victoire dans le concours national… Il est temps a plusieurs significations pour moi, et mon suivi des événements mondiaux et mon sentiment de confusion m’ont conduit à choisir cette phrase : il est temps de changer.

Quant à la phrase je ne ressemble qu’à moi-même, elle reflète un de mes grands objectifs : être unique. Je souhaite ne ressembler à aucun autre poète. Mon but est de participer de manière significative à la poésie, en y apportant une valeur ajoutée avec mon nom et mon identité.

Je ne veux ni imiter ni être imité. Je préfère ne pas suivre les chemins des autres. Mon objectif est de vivre ma propre réalité et ma propre phase. Je garde à l’esprit que chaque pays a ses propres conditions politiques et sociales, qui façonnent le poète.

Il est impossible de transférer l’expérience de l’Est au Maroc et vice versa. Je reste fidèle à moi-même, même dans la peinture abstraite et ma rébellion contre les méthodes traditionnelles d’enseignement. J’ai conservé tous mes anciens poèmes et erreurs sans les cacher aux lecteurs.

Je ne ressemble qu’à moi-même car je suis Yassine Jennani !

Afro Slam : En tant que membre actif de l’association Slam’aroc, comment vois-tu le rôle de cette association dans la promotion du slam au Maroc ?

Yassine Jennani : L’association Slam’aroc est un label inclusif et accueillant. Elle attire à la fois l’élitisme, le populisme et tout ce qui se trouve entre les deux. Son objectif est de motiver, soutenir et accepter les idées de tout le monde.

L’association rassemble toutes les générations dans Slam’aroc. C’est un lieu où le réalisme et le fantastique s’expriment à travers les ateliers et les rencontres. Les micros ouverts se déroulent tant dans la réalité que dans le monde virtuel. Slam’aroc représente la symbolique de son nom et reste le réseau officiel diffusant toutes les nouveautés du slam dans le pays. Elle présente également les activités des autres associations, ainsi que les réalisations des amis, leurs livres et leurs poèmes.

Pour moi, Slam’aroc est une fondation dont le travail dépasse celui d’une simple association. Slam’aroc, c’est moi et moi, c’est elle. Slam’aroc est pour la vie. Mes salutations à l’icône fondatrice Fatine Moubsit.

A lire : Fatine Moubsit, la voix de la résilience : une interview avec une artiste qui utilise le slam pour guérir

Afro Slam : Tu as remporté le championnat de slam au Maroc en 2024. Qu’est-ce que cette victoire signifie pour toi et comment te prépares-tu pour représenter ton pays au championnat du monde de slam au mois de novembre à Lomé au Togo ?

Yassine Jennani : Ma victoire m’a donné confiance et force précieuses. Elle m’a également légitimé pour renforcer le slam parmi les poètes traditionnels, classiques, libres, et modernes. Le slam m’a motivé à participer au Salon international du livre et à représenter l’équipe de Slam’aroc à divers événements et festivals.

Partout où je vais, je suis fier d’être reconnu comme le champion du Maroc en slam-poésie. Cela rime avec le mot joyeux en arabe, Farhan.

Pour préparer le championnat, j’écoute attentivement les experts linguistiques et les poètes plus expérimentés. C’est une lourde charge et une grande responsabilité. Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, je vais participer à un événement en utilisant l’arabe classique.

Sur scène, je récite la poésie de manière authentique et impactante pour captiver le public. À la maison, je m’entraîne aussi. J’ai aménagé un studio simple et construit une scène sur le toit. En regardant l’océan Atlantique, je récite à haute voix. Je cherche à atteindre un public plus large et à affiner ma performance.

Afro Slam : Ta poésie est souvent décrite comme engagée et militante. Quels sont les thèmes principaux que tu abordes dans tes poèmes et qu’espères-tu transmettre à ton audience ?

Yassine Jennani : J’essaie de plonger en profondeur pour comprendre la vérité, car les informations sont nombreuses mais la crédibilité est rare. J’analyse politiquement par moi-même, avec un minimum de connaissance en sciences politiques, grâce à mes études en droit à l’université.

J’ai souvent abordé des sujets sociaux et j’ai endossé plusieurs rôles : celui d’avocat, de journaliste, de juge, de politicien et de jurisconsulte. Récemment, je me suis tourné vers des sujets qui nous touchent de manière plus intime, tels que la question palestinienne, l’augmentation du coût de la vie, le rôle du public dans la lutte contre la superficialité, la défense de la patrie et du Sahara, et non pas le fait de vanter la patrie ou de mentir, car cela ne nous fera pas avancer.

En ce qui concerne la romance engagée, je ne dissèque que rarement la femme marocaine de manière obscène ou ne lui écris des poèmes hostiles, en raison de ma relation continue avec elle. Au contraire, je la respecte, la considère comme précieuse, l’encourage dans mes poèmes et la vois comme une reine qui siège sur le trône de ma poésie.

J’écris également sur la nature. Je n’oublierai pas d’être un outil dans mes poèmes pour encourager chaque poète, chaque écrivain parmi mes amis à poursuivre et à vivre pleinement la vie poétique, en tirant parti de mon expérience dans le domaine de la programmation neurolinguistique.

En tant que poètes vivants, nous n’écrivons pas des poèmes saisonniers ou des poèmes tous les six mois. Nous ne prenons pas la plume seulement lorsque cela est nécessaire. Nous sommes la plume et la plume est nous, toujours.

Afro Slam : Ton parcours a été marqué par des influences diverses, de tes enseignants à tes amis rappeurs. Peux-tu nous parler de certaines de ces influences et de l’impact qu’elles ont eu sur ton écriture et tes performances ?

Yassine Jennani : J’ai été influencé par trois groupes. Le premier est lié à la langue et à l’art de la voix, ainsi qu’à la manière de présenter les textes : Asswat Assaada Bil Watan Al Arabi (Voix du bonheur dans le monde arabe), fondé par Adam Nour, surnommé DALASS.

Le deuxième concerne le vrai rap de rue et la réalité vécue. Ayant grandi dans un quartier populaire, j’apprécie beaucoup écouter du vrai rap, comme celui de Uncle Vato et Mehdi DSD et leurs amis. J’ai ainsi découvert et ressenti la réalité du rap marocain, que j’ai respecté et qui m’a respecté en retour. J’ai toujours bénéficié de l’influence de mes amis tout en préservant mon propre style, et je n’ai jamais envisagé de faire du rap.

Le troisième groupe est lié au Slam, son histoire, comment il est apparu, qui sont les poètes de Slam moins connus, les ateliers, l’écriture, l’ascension, la compétition, et la définition de ma propre personnalité dans cet art verbal et libre. Ici, je parle de Slam Maroc.

Je fais donc partie de ces trois groupes, et je ne sais pas vraiment ce que je suis : un poète de Slam, un poète ou un auteur de textes poétiques, mais je suis certain de ne pas être un rappeur. Le rap a ses propres représentants, dont la plupart sont malheureusement encore inconnus.

Afro Slam : En tant que représentant du Maroc à des compétitions internationales de slam, quel message souhaites-tu porter sur la scène mondiale et quelles sont tes aspirations pour l’avenir du slam au Maroc et au-delà ?

Yassine Jennani : J’ai divisé mon message en textes à travers lesquels je défends le continent et mets en avant mon pays, le Maroc. J’explore ma propre identité et il est crucial pour moi de jouer un rôle dans la préservation de la poésie en tant que champ de connaissance, tout en alertant sur les dangers de sa disparition.

Pour ce qui est du slam, il est grand temps qu’il touche les 36 millions de marocains et qu’il obtienne la reconnaissance qu’il mérite aux côtés de la poésie traditionnelle et du zajal. À mon avis, en tant que slameur, je suis plus proche de la poésie traditionnelle, de la poésie en prose et de la poésie libre que du rap. Il est donc impératif de porter une attention accrue au slam et de soutenir ce mouvement, tant par l’État et le ministère de la Culture que par les acteurs privés.

Afro Slam : Des projets ?

Yassine Jennani : J’espère que mon prochain recueil sera meilleur que le premier, si Dieu le veut. Il comprendra des poèmes enregistrés sous forme d’album. Je coordonne aussi avec certaines entités pour organiser des festivals de slam et des micros ouverts pour les poètes marocains. Mon objectif est de promouvoir le slam au Maroc grâce à mon affiliation avec Slam Maroc.

Je prévois aussi de présenter pour la première fois une exposition de mes œuvres picturales. Je vais tenter de remporter le titre de Champion du Monde et d’Afrique en slam-poésie.

Afro Slam : As-tu un dernier mot à l’endroit de nos lectrices et lecteurs ?

Yassine Jennani : Je tiens à remercier l’intervieweur pour la qualité de ses questions complexes, qui m’ont permis d’aborder de nombreux sujets jusqu’alors cachés, et ce pour la première fois. Je voudrais dire au public qu’il est temps que le slam-poésie éclaire notre pays, notre continent et le monde entier.

Et si je ne remporte pas le titre de Champion du Monde et d’Afrique, je vous demande pardon, mais je vous assure que je mettrai tout en œuvre.