Fatine Moubsit, la voix de la résilience : une interview avec une artiste qui utilise le slam pour guérir

Aujourd’hui, nous vous invitons à plonger dans l’univers captivant de Fatine Moubsit avec cette interview grand format. Fatine incarne la définition même de la polyvalence : écrivaine talentueuse, psychologue clinicienne, slameuse passionnée ayant représenté le Maroc à la première Coupe d’Afrique de Slam-Poésie… Elle dépeint le slam en trois mots : liberté, authenticité et sublimation. Pour elle, le slam est bien plus qu’une simple forme d’expression, c’est une véritable thérapie de l’âme. Ambassadrice de la Coupe d’Afrique de Slam Poésie au Maroc, fondatrice de l’association Slamaroc, directrice du festival D’klam, auteure de plusieurs livres dont ”Ecrit et cris”, ”Tay Tay”, ”Journal de ma noirceur”, ”Ils s’attendent à ce que je crève et je ne cesserai de les décevoir” et ”Boukhetat”…

Créatrice du concept Bezaf Men Chwya : un concept d’écriture brute en arabe conçu pour la mise en mot et la mise en voix des mouvements psychiques susceptibles de nous traverser. Et ce dans un « Darija » qui peut être à la fois brutal, étranger mais tout aussi familier; froid par moment, lourd souvent et témoignant du vide et du trop-plein en soi qui loge entre les lignes et derrière la voix. Une dynamique de maux en mots qui fait partie de nous. Dans cette interview exclusive, elle partage avec nous ses expériences de scène, son combat courageux contre le cancer et le pouvoir curatif des mots. Une rencontre inspirante et pleine d’émotions à ne pas manquer.

Afro Slam : Si tu devais te présenter en huit vers de deux quatrain, quel serait le résultat ?

Fatine : « Il parait que de là d’où je viens, se trouve toute la différence.

A entendre probablement dans un double voire un sur-sens.

Il parait que d’où viennent mes mots, fait que mes maux se pansent.

Ses derniers s’arrêtent lorsque les premiers commencent.

Loin de toute suggestion, de toute prétention, de toute superficialité.

Mes mots à un vécu subjectif, à des mouvements psychiques se sont greffés.

Si à présent j’ai décidé de choisir comme nom de scène Introspectus.

C’est que sans doute mes mots et mon art ont souvent été là à mon propre service. »

Afro Slam Dans quelle mesure psychologie clinique et poésie se rejoignent-elles ?

Fatine : Il existe un lien intime entre psychologie clinique et poésie et tout autre forme d’art où il est question d’expression. La poésie en tant que discipline à la fois artistique et littéraire porte en elle un aspect symbolique révélateur qui se conjugue avec le réel et l’imaginaire en chacun de nous.

Il ne s’agit ni d’une analyse hâtive de l’expression artistique ni de causalité mais plutôt ce qui peut être mis en avant, c’est le processus créateur et l’effet cathartique que reflètent ses formes d’art. Et cela rejoint particulièrement ce qu’on appelle les médiations thérapeutiques qui occupent aujourd’hui une place centrale dans la prise en charge psychologique des souffrances humaines et servent d’étayage au déploiement de la parole.

Le slam poésie d’ailleurs et l’écriture en font partie et pour moi ces outils se complètent et forgent en quelque sorte le devenir sujet ! À commencer par soi-même !

Et c’est ce dispositif que je suis entrain de tenter de mettre en place en créant un lien entre l’effet cathartique et la thérapeutique de l’art dans la clinique !

Je me permets de vous faire part de mon article rédigé à ce sujet et qui explique ma démarche dans le processus conjuguant la clinique au Slam Poésie.

 Le Slam Poésie au service de la clinique thérapeutique :

Un processus subjectif inspiré d’une vie à la fois de psychologue et d’artiste

Mon parcours d’artiste Slameuse fut marqué par un nombre d’évènements qui ont pu forger l’être que je suis aujourd’hui et ce à quoi et vers quoi j’aspire. Ma découverte du Slam a commencé depuis des années déjà, parallèlement avec le début de ma formation en psychologie clinique et le début de ma propre thérapie analytique. Cette triple rencontre, d’une part celle avec le Slam bien avant, et d’une autre part avec la formation en psychologie et ma propre thérapie n’a pas été anodine, c’est à travers ce croisement que j’ai pu tenter tout au long de mon parcours de vie de conjuguer mon art (au départ) aux métiers de la psyché humaine et questionner en profondeur les différents processus pouvant naitre à travers ces multiples expériences touchant avant tout à l’humain mais surtout se transposant dans le lien avec l’autre. Un autre qui peut à la fois être nous-mêmes, notre semblable, celui auquel on s’identifie ou celui qu’on fuit. Ces liens pouvant constituer quelque part ce Canva, ce terrain psychique vierge où nous ne cessons de projeter en l’autre nos désirs, nos angoisses, ce que nous aimons, ce que nous détestons et ce qu’on refuse de voir. Une multitude de mouvements psychiques que nous vivons notamment dans le monde de l’art mais à chaque instant de notre vie quotidienne en étant en interaction avec l’autre. Là où l’intime en nous, les parts les plus fragiles et les plus vulnérables se confrontent à la réalité de façon plus vaste mais, se retrouvant face à un réel par moment inadmissible mais qu’on tente de symboliser en s’imprégnant de l’imaginaire et surtout de notre singularité et notre subjectivité.

Porter en moi ces mouvements psychiques et être au plus près de leur déploiement et dépliement, a été en faveur de la mise en place d’un espace me permettant à chaque fois de questionner ces divers processus à commencer par ma propre histoire : Mon histoire de maladie qui date et mon roman de vie.

Le Slam Poésie a été cette échappatoire, ce monde m’appartenant, cet univers dans lequel je plongeais à chaque fois pour déposer mes maux, mes instants de vie, d’autres de mort et qui m’étaient difficiles à penser. Une hémorragie verbale en moi avait besoin d’être contextualisé et placée là où c’est possible de panser ce qui ne pouvait être autrement pensé.

Cette expérience personnelle conjuguée à ma pratique de psychologue clinicienne en cours de construction, fut cet étayage, ce berceau pour la naissance de cet espace transitionnel, mouvant et changeant au fur et à mesure, un berceau et une berceuse m’ayant mener à faire de mon art une sorte d’introspection, et un moment intense de vie marqué par la remise en question.

Et si les mots pouvaient soigner les maux ? “

Ce questionnement et tant d’autres, m’ont accompagnés durant des années de vie, parcourant divers chemins et cheminements pour prendre leur forme actuelle : Celle de s’offrir la possibilité de sublimer tant de douleurs vécues, une sorte de compromis trouvé pour tenter de réanimer et laisser en vie ce qui était en train de s’éteindre en moi, cette lueur résistante demandant à rester lumineuse et qui par moment diminuait, clignait et luttait quand même pour maintenir sa luminosité. Telle cette flamme d’une bougie que le vent fait danser, remuer dans tous les sens mais qui est encore entrain d’éclairer ce qui fut noirci. Et puis Souffrir devint un jour s’offrir la possibilité de véhiculer autrement ce qui fut mal vécu, de le symboliser et de le transformer et le transformer. Une métamorphose similaire à cet état de transe psychique où les mots sans défenses s’autorisent à exister dans cet état même brut mais approchant l’authenticité.

Le processus de l’écriture fut le commencement, un murmure de l’âme que le corps apprivoise, ce mouvement manuel, ce premier apprentissage remontant aux premières années de la vie de tout un chacun. Cette inscription gravée qu’est l’écriture, une écriture qui sort des profondeurs, et qui ose un jour crier pour sortir au monde sous une forme autre sur scène : L’instant de déclamation. Quand l’âme fait appel à la voix, et quand le corps lutte et espère pouvoir crier sa voix, les mots dansent avec les maux et leur union apaise tant de bruits en soi.

La naissance de ce processus et la découverte de son effet cathartique, m’a permis de questionner davantage les possibilités d’inscrire le Slam Poésie dans une équation clinique thérapeutique qui pourrait éventuellement constituer un outil médiateur à la thérapie comme on le voit aujourd’hui dans le cadre de la dramathérapie, de la musicothérapie, du psychodrame et tant d’autres méditations thérapeutiques.

Une hypothèse fut soigneusement articulée : Celle que le Slam Poésie pouvait être une sorte d’espace transionnel, un dépôt de tant de souffrances psychiques symbolisées et métamorphosées dans une forme leur permettant autrement d’exister. Séjourner auprès de ce constat non seulement personnel mais aussi soulevé et observé lors de divers ateliers de Slam Poésie que j’ai pu animer, fut l’essence de cette réflexion en cours d’élaboration en vue de pouvoir la faire sortir au monde dans une forme théorico-pratique adaptée et l’inscrire dans un dispositif permettant d’apprécier non le résultat ou la finalité mais tout le processus que le sujet aurait traversé. Un sujet qui aurait demandé à être accompagné.

Afro Slam : Il y a toujours un élément déclencheur à tout. Quel est l’élément qui t’a convaincu de prendre la plume et d’accoucher des vers ?

Fatine : Je me souviens que j’ai toujours aimé écrire, cela était mon refuge depuis toute petite, mettre des mots sur des maux.. et la poésie avec sa musicalité particulière me fascinait ! J’ai été initiée très jeune au monde de l’art en intégrant le conservatoire pour étudier le solfège, le piano et le théâtre. Et l’écriture trouvait toujours sa place au coeur de ces arts qui m’ont émerveillés aussi.

La poésie était une sorte d’amie intime qui me gardait une place à ses côtés même quand je n’étais pas là, depuis les bancs de l’école jusqu’aux bancs de l’université et dans le monde professionnel à présent aussi.

Accoucher c’est bien la métaphore qui me parle le plus, car les mots qui sortaient, naissaient certainement dans la douleur mais leur venue au monde était à chaque fois un aboutissement.

Un texte me vient à l’esprit qui décrit tout à fait ce processus, je me permets de le partager avec vous :

« Sur un bout de pierre blanc,

Pas tellement droit mais pour le moment m’arrangeant

Pour me poser quelques minutes et tentant

D’accoucher de quelques lignes refusant de sortir au monde autrement.

On dirait que la voix basse, n’est pas ce qu’il faudrait à l’instant,

Peut être qu’une césarienne manuscrite facilitera le découvrement,

Des couches aussi intenses de mots que je portes en moi tout le temps

Qui, au risque d’une fausse couche s’aventure assez souvent

Sur un bout de pierre blanc,

Pouvant devenir assez sanguin à la sortie de chaque mot, le premier, le second

Quelques premières gouttes de sang

D’autres en lot les succédant.

Et moi dans l’incapacité de pousser je les laisse sortir à leur façon

Tantôt voir le monde refusant, tantôt hésitant

Puis avançant, reculant, se cognant, boitant et d’autres moments courant

Dès lors qu’ils perçoivent une parcelle d’inspiration.

Sur un bout de pierre blanc.

Une hémorragie verbale s’annonçant

Intensément

Mais silencieusement.. »

J’ai ensuite au fil du temps découvert le Slam poésie, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de magnifique dans cet art oratoire qui rendait la poésie plus vivante, en faisant vivre en moi autrement tous ces mouvements psychiques qui me traversaient. Et le fait de les déclamer était tout simplement un moment de révélation en percevant l’écho que ça faisait chez les autres.

Cette liberté d’expression qu’a la discipline du Slam poésie fait de lui un art à part entière qui fleuri et s’épanouie tout en faisant épanouir l’être qui l’apprivoise.

Afro Slam : En 2018, tu représentais le Maroc à la 1ère édition de la coupe d’Afrique de Slam-poésie. On se souvient de cette déclamation pleine d’émotions dédiée à ta maman restée à des milliers de kilomètres de toi. Quels souvenirs gardes tu de cette aventure ?

Fatine : Je garde de merveilleux souvenirs de cette première édition qui était pour moi non seulement une grande réussite mais plus fort une Renaissance en faisant énormément de connaissance ! C’est bien grâce à cette expérience que nombreuses portes m’ont été ouvertes. À l’issue de cette expérience, j’ai pu entretenir de magnifiques liens avec l’équipe de la Coupe d’Afrique de Slam poésie qui font à présent partie de ma grande Slamille ! Et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler en tant qu’Ambassadrice au Maroc de la CASP.

J’ai aussi eu un attachement affectif intense avec la ville de N’Djamena et ses habitants au grand coeur ! Je reviendrai avec grand plaisir si de nouveaux projets toquent à ma porte !

Et en ce qui concerne la déclamation dite « dédiée à ma maman », en réalité le texte en question ne parlait pas vraiment de ma mère mais de la perte particulièrement, ces mots de vulnérabilité où l’on se sent démuni de toute force, mais il y avait quelques vers qui faisait allusion justement à ma mère qui n’a pas pu m’accompagner lors de cet évènement et dont j’avais besoin en ce moment !

Afro Slam : Selon toi, quels sont les trois mots qui représentent le mieux le Slam ?

Fatine : Liberté, Authenticité et Sublimation

Afro Slam : Quelles sont tes deux plus belles expériences de scène ?

Fatine : La première est celle du Festival International N’djam s’enflamme en Slam en Novembre 2019 à l’institut français du Tchad. La deuxième est une petite scène intime en France, à Montpellier à la librairie Scrupule.

Il y a d’autres scènes bien sûr au Maroc et ailleurs mais les deux que j’ai citées sont chères à mon coeur. Et j’en garde de beaux souvenirs.

Afro slam : Tu es écrivaine et poète ! Si on te demandait de choisir entre une incontournable prose de Yasmina Khadra et l’éloquence des vers de Léopold Sédar Senghor. Que choisirais-tu ?

Fatine : La question du choix est difficile à ce niveau ! Je me permettrai de ne pas choisir car je les apprécie tous les deux ! Et j’admire la singularité présente dans les écrits de chacun.

Je défends intimement l’idée que chaque écrit venu au monde n’est pas là au hasard et porte en lui une beauté non seulement linguistique mais surtout humaine. Certainement les choix et les intérêts de chacun diffèrent, mais ce que chaque écrivain cherche à transmettre ou tente de faire venir au monde serait relatif à sa propre expérience subjective de loin comme de près.

Nous pouvons être d’accord ou pas avec ce qui se livre dans chaque écrit, mais cela n’enlève en rien la valeur des oeuvres.

Afro Slam : Nous t’avons vu face à l’adversité, à la maladie. D’où puises-tu cette force, ce mental d’acier pour garder le cap et continuer de contaminer le public par tes messages d’amour et de compassion ?

Fatine : Certainement, la maladie dans mon parcours de vie, a laissé un espace où le mal avait des choses à dire (mal a dit). Je n’ai pas de réponse précise ou particulière à cette question, mais ce que je pourrai dire c’est que ma souffrance physique n’est entre autres qu’un chapitre dans l’histoire de ma vie. Un chapitre qu’on saute des fois, pour lire un autre, mais vers lequel il arrive de revenir pour le revisiter, le déconstruire, de reconstruire autrement. J’ai fait le choix d’en parler dans mes textes qui portent une trace de mes différents vécus, et cela m’a toujours été libérateur.

Ma passion nourrit mon élan vital et l’idée que les souffrances sont éphémères, encore faut il y croire, m’a souvent laissé aller vers l’avant en mettant de côté quand il le faut le mal. Mais en prenant par moment le temps suffisant pour le vivre quand il y a besoin.

Le cancer est aujourd’hui pour moi un colocataire, présent, il dérange des fois mais n’empêche pas de vivre ! On en rit, on en pleure ainsi est la vie avec ou sans cancer. Et puis de souffrir est née s’offrir la possibilité de vivre les choses autrement !

Afro Slam : Quel est ton plus grand rêve Fatine ?

Fatine : Mon plus grand rêve n’est pas un seul mais plusieurs « Rêves » avec s. Certains se sont réalisés, comme la sortie de mon premier recueil de Slam poésie « ÉCRIT ET CRIS.. », la direction de nombreux projets artistiques, mon titre de psychologue clinicienne au Maroc et d’autres en cours d’aboutissement, comme la création d’une association bénévole de Slam Poésie, approfondir ma pratique Clinique et devenir Psychanalyste !

J’y travaille passionnément et patiemment !

Mais je résumerai cela en une phrase : C’est d’être au meilleur de ce que je suis aujourd’hui, en perpétuelle remises en question, en perpétuelle déconstruction et reconstruction subjective ! Tout en préservant intimement mon authenticité !

Afro Slam : Des projets, album, EP, concerts… en vue ?

Fatine : Je suis en train de concevoir des projets à venir et en collaboration avec d’autres artistes : Comme la création d’un spectacle de Théâtre Slam Poésie, l’officialisation du statut de l’Association SLAMAROC qui oeuvre déjà depuis un moment visant à promouvoir le Slam et les artistes Slameurs au Maroc et à l’échelle internationale.

Avec la sortie de mon livre, nous envisageons avec quelques collègues et partenaires de travail de la création de mon album ainsi que des concerts de Slam Poésie au Maroc en France et ailleurs accompagnant la signature du livre.

Je fais aussi partie à présent de la Ligue de Slam de France

Et aussi un collectif de poètes L’Appeau’Strophe :

Afro Slam : Un message à faire passer à l’endroit de nos lectrices et lecteurs ?

Fatine : « Soyez vous même en croyant fort en votre potentiel créateur ! »

Afro Slam : Comment te contacter ? (Ici références : site internet, liens réseaux sociaux, booking…)

Fatine : Je suis joignable sur Facebook et Instagram. Mais aussi via la page Facebook du « Collectif SLAMAROC ».

« Parler Cancer » (un programme d’accompagnement psychologique aux sujets souffrant de cancers et leurs proches, où on propose des ateliers de média.ons ar.s.ques notamment à travers l’écriture et le Spam Poésie).

Mais aussi via mon numéro professionnel : +33748453690

Je suis en train de mettre en place mon site officiel ainsi que la page « Introspectus » que je vous communiquerai par la suite avec plaisir !