Inti-Slam : Une voix poétique pour l’humanité

Découvrez l’histoire inspirante d’Inti-Slam, une slameuse talentueuse dont le parcours est marqué par la réconciliation personnelle et la recherche de la lumière dans les ténèbres. Intissam Dahilou, alias Inti-Slam, a trouvé dans le slam une forme d’expression artistique qui lui a permis de surmonter les épreuves de la vie et de trouver sa voie. À travers ses performances scéniques, ses spectacles et son engagement artistique, elle s’est donnée pour mission d’apporter sa lumière à l’humanité et de créer des possibles.


Dans cet entretien, Inti-Slam nous livre son parcours singulier. Dès l’âge de 13 ans, elle était attirée par les mots et la poésie, écrivant des textes d’amour. C’est en 2012 qu’elle a découvert le slam, une bouée de sauvetage dans une année difficile. Depuis, elle n’a jamais quitté cette forme d’expression artistique qui lui a permis de se réconcilier avec elle-même et de trouver sa voix. Aujourd’hui, Inti-Slam aborde des thèmes empreints d’espoir et de force. Sa plume évoque l’humanité et le vivre ensemble, et elle se bat pour que chacun puisse avoir sa parole. Elle souhaite briser les barrières, les murs invisibles et visibles, convaincue que c’est la clé pour réussir dans ce monde. Elle aborde également la condition féminine, partageant ses expériences personnelles et défiant les pesanteurs socioculturelles qui ont marqué son parcours.

Dans cette interview, Inti-Slam nous livre son message inspirant de réconciliation et d’empowerment à travers le pouvoir des mots. Plongez dans l’univers poétique et engagé d’Inti-Slam, une slameuse dont la voix résonne avec authenticité et espoir.

Afro Slam : Peux-tu te présenter à nos lectrices et lecteurs, nous parler de ton parcours en tant que slameuse et de ce qui t’a poussé à te lancer dans cette forme d’expression artistique ?

Inti-Slam : Je suis Intissam Dahilou, connue sous le nom de scène d’Inti-Slam. Ça fait déjà 14 ans que je pratique le slam. C’est un parcours qui m’a permis de me réconcilier avec moi-même. À huit ans, j’ai commencé à lire des œuvres de Jean-Jacques Rousseau, ce qui peut sembler invraisemblable, mais j’ai toujours été attirée par les mots. Cette fascination m’a poussée à écrire de la poésie d’amour à 13 ans. Cependant, les feux de l’amour se sont vite éteints, laissant place à la solitude et à l’incompréhension familiale et sociale.
En 2012, j’ai rencontré le slam, ce qui a été une bouée de sauvetage dans une année très difficile. Rejoint par Art 2 la plume, un collectif de slam, poésie et théâtre, je n’ai plus jamais quitté le slam. À travers mes prestations sur scène, mes spectacles, mon premier Ep Tabiri et les différents événements auxquels j’ai participé, le slam est devenu un moyen pour moi de traverser le désert de ma vie et de me retrouver en 2022.
Après cette période d’introspection, j’ai pris une pause pour réfléchir à la poursuite de ma pratique du slam. J’ai réalisé que j’avais maintenant une mission : apporter ma lumière dans les ténèbres et m’imprégner de cette lumière dans mon obscurité. J’ai choisi cet art autrefois pour surmonter mes épreuves et trouver ma voie, aujourd’hui c’est devenu une voix pour l’humanité, pour le vivre ensemble et pour créer des possibles.

Afro Slam : C’est quoi une journée typique d’Inti-Slam ?

Inti-Slam : C’est une journée pleine de poésie et d’humanité. Offrir et recevoir, apprendre des autres. Ce peuvent être des rencontres, des moments de partage, des instants où le mal et le désespoir n’ont pas leur place.

Afro Slam : Tu as commencé à écrire à l’âge de 13 ans. À propos de quoi écrivais-tu à cet âge ?

Inti-Slam : Des textes d’amour. J’étais jeune, curieuse, amoureuse. Je voulais savoir ce que ça faisait d’aimer et d’être aimée. Mes camarades l’étaient aussi, alors elles venaient me voir pour que je leur écrive des lettres pour leurs copains. Ça m’amusait et me donnait de l’importance.  Cela a duré jusqu’à ce qu’on me brise le cœur.

Afro Slam : Quels sujets ou thèmes préfères-tu aborder dans tes textes de slam aujourd’hui et pourquoi ?

Inti-Slam : Vous savez, aujourd’hui je suis une nouvelle personne, ou devrais-je dire la version cachée de 12 ans d’introspection. Avant, mes textes portaient le message d’une âme blessée, perdue, emprisonnée, peu importe le thème. Même en amour, je me considérais comme la personne la plus blessée de toute la planète, selon moi bien sûr. Mon monde était noir.
Contrairement à aujourd’hui, ma plume est pleine d’espoir, de force, de certitude. Aujourd’hui, je me bats pour la parole, pour que chacun de nous ait la sienne. Je slame pour le vivre ensemble, pour briser les barrières, les murs invisibles et visibles. Je suis persuadée que c’est la seule façon de réussir dans ce monde.
Ma plume évoque aussi la condition de la femme, car en tant que femme, cela me touche directement, surtout par rapport à tout ce que j’ai vécu dans ma vie de femme. J’en parle également.
Je dirais donc que ma plume aborde l’humanité

Afro Slam : Comment les pesanteurs socioculturelles ont-elles influencé ton parcours en tant que slameuse ? As-tu rencontré des défis particuliers en tant que femme et comorienne ?

Inti-Slam : La plupart du temps, lorsqu’on décide de s’exprimer à travers l’art, c’est souvent pour des raisons socioculturelles. Je ne généralise pas, mais pour moi, l’expression consiste à révéler un sentiment, une pensée ou autre aux gens. Pour moi, les pesanteurs socioculturelles ont lourdement influencé cette expression. Si aujourd’hui je vous avoue qu’il m’a fallu 12 ans pour me découvrir, c’est parce qu’au-delà de ce nombre, il y a eu énormément de pression et de décisions liées au mariage, aux études, aux normes sociales, et ainsi de suite. C’est une situation difficile qui m’a pesé trop longtemps. Cela touche de nombreux artistes, qu’ils soient hommes ou femmes, mais en tant que femme, c’est encore plus difficile. Je crois qu’être née femme signifie d’abord se préparer à porter des fardeaux que l’on n’a pas choisis avant de décider tôt ou tard de les abandonner ou de continuer à les porter. Plusieurs fois, j’ai failli renoncer à l’art, mais mon moi intérieur était beaucoup plus fort que tout le reste. Être femme, c’est aussi avoir le courage d’être humain et non pas un objet.
Certes la société comorienne a des normes qui avantagent les femmes et d’autres qui les déshumanisent. Quant aux premiers il faut aussi que ça soit appliqué.

Afro slam : Quels sont les défis auxquels tu as été confrontée en tant que femme dans l’industrie du slam ?

Inti-Slam : Aux Comores, le slam est apparu dans les années 2000. Depuis lors, plusieurs groupes sont nés, d’autres ont disparu, contribuant à sa popularisation progressive. Aujourd’hui, le slam est particulièrement apprécié chez les jeunes, mais parler d’une véritable industrie du slam aux Comores serait exagéré. Je dirais plutôt que des initiatives commencent à émerger, mais nous en sommes encore loin. Les défis dans ce domaine surviennent surtout lorsque l’on décide d’en faire une profession. En effet, on peut être slameur et se contenter de partager ses messages devant un public sans forcément en faire une profession à part entière. Personnellement, mon plus grand défi est de gagner ma vie grâce au slam, ce qui n’est pas facile. Pour réussir, il faut créer, produire, vendre, et tout cela nécessite une équipe. Un artiste seul ne peut pas tout faire. Se concentrer sur son art est déjà une tâche ardue, mais le vendre en est une autre. Je sais que si j’avais un manager ou un directeur artistique, je n’aurais pas autant de difficultés à trouver des contrats ou à me vendre. Le véritable défi réside donc dans la gestion de tous ces aspects. Cependant, cela ne signifie pas pour autant que j’abandonne car le slam je ne le fais pas seulement pour l’argent mais pour un message d’humanité avant tout. Donc je sais pourquoi je suis là.

Afros Slam : Peux-tu nous parler d’une performance de slam qui a eu un impact significatif sur toi ou sur ton public ? Qu’est-ce qui la rendait spéciale ?

Inti-Slam : C’est une performance que j’ai réalisée en 2021 lors de la sortie de mon premier EP, Tabiri, qui signifie “rêve”. J’ai été invité à la cérémonie officielle du 08 Mars, dans une salle remplie de personnalités politiques et d’hommes d’affaires. J’ai déclamé un texte sur la faible présence des femmes en politique aux Comores. Les femmes présentes dans la salle applaudissaient à chaque mot que je prononçais, tandis que je sentais un certain malaise chez les hommes qui étaient plus nombreux devant que les femmes. Cette performance m’a ouvert de nombreuses opportunités et contrats pour diverses cérémonies à venir. J’avoue qu’il n’y a rien de plus gratifiant pour un artiste que de savoir que son public répond à son message.

Afro Slam : Comment gères-tu l’équilibre entre l’authenticité de ta voie artistique et les attentes de ton public ou de l’industrie musicale ?

Inti-Slam : J’avoue qu’à notre époque, maintenir authentiquement sa voie artistique est complexe, surtout lorsque l’on s’engage à vendre son art. J’ai ce besoin de me retrouver dans ma création, mais parfois, il faut ajouter des éléments pour susciter l’appréciation du public ou élargir notre audience. Personnellement, je préfère trouver un équilibre entre les deux. Certes, je m’exprime en tant qu’artiste, mais j’ai aussi un public cible. Toutefois, je privilégie le fait de rester authentique, de toucher les cœurs et de voir le résultat, qu’il soit bon ou moyen. L’industrie musicale influence énormément le slam aujourd’hui, ce qui nous pousse souvent à jongler entre les deux. Mais lorsque le résultat est authentique et que l’on se sent bien, c’est fantastique. Ainsi, je fais tout ce qu’il faut pour préserver l’authenticité de mon slam tout en satisfaisant en grande partie mon public cible.

Afro Slam : Quel est le rôle de la poésie et du slam dans la société comorienne d’aujourd’hui ? Comment penses-tu que ton travail contribue au dialogue social ou au changement ?

Inti-Slam : Dans la société comorienne, particulièrement sur l’île de Ngazidja, le slam a toujours eu sa place depuis longtemps, partageant les mêmes codes que le nyandu, un genre de poésie traditionnelle comorienne utilisé par les grands rois, paroliers et guerriers de l’histoire comorienne, avec des poètes éminents tels que Mbae Ntrambwe qui ont marqué l’histoire par leur verbe et leur éloquence poétique. Ces pratiques sont encore présentes dans certaines manifestations culturelles de l’île jusqu’à aujourd’hui. L’apparition du slam aux Comores n’a pas été une nouveauté car les traditions de la poésie orale étaient déjà en place, seul le nom et le renouveau étaient différents. Ainsi, l’utilisation de cet art dans notre société résonne plus facilement. Tout comme par le passé, le slam soulève aujourd’hui des interrogations, remet en question la réalité, repousse les limites et est devenu un instrument incontournable pour la jeunesse, s’élevant contre les abus, les vices et les injustices sociales et politiques. Je pense que le seul fait de porter la parole face à un public fait toute la différence.

Afro Slam : À ton avis, comment se porte le slam aux Comores aujourd’hui ?

Inti-Slam : Le slam va bien aux Comores!
Aujourd’hui, il s’est instauré au sein de la population, particulièrement chez les jeunes. Des ateliers sont organisés dans les écoles et les universités. Certains slameurs en font une profession et ça marche, tandis que d’autres y trouvent du plaisir, que ce soit au niveau national ou international, pendant que certains l’utilisent comme une arme incontournable. Le slam prospère aux Comores.

Afro Slam : As-tu des projets futurs en préparation, que ce soit de nouvelles publications, des collaborations, des performances ou d’autres initiatives artistiques ?

Inti-Slam : Que devient un artiste sans projets futurs ? C’est comme s’il ne lui restait plus rien de son art. Construire demain est le rêve d’un artiste engagé, peu importe sa discipline, car le bonheur des gens est ce qui l’importe.
Oui, j’ai des projets futurs qui ne concernent pas seulement le slam. J’ai oublié de mentionner ci-dessus que je suis aussi comédienne et administratrice d’un studio de production de films. Mais pour ne pas m’éparpiller, je suis en plein dans une résidence d’écriture sur un projet slam-poésie et d’autres oeuvres littéraires cinématographiques. Même s’il faut avouer que les trois sont d’ordre littéraire, c’est dans l’écriture que je me permets toutes mes folies. Pour moi le cinéma est une passion et le slam, une mission. Je travaille également sur des collaborations futures dont je préfère garder les détails pour le moment, en attendant les résultats.
Quant aux initiatives, j’ai créé il y a un an un espace de création portant mon nom de scène, Inti-Slam. Il s’agit d’un lieu de création d’activités qui donne la parole et rassemble les gens. J’ai commencé les activités depuis le mois de Ramadan en février 2024 et jusqu’à maintenant, nous en sommes à la troisième activité. J’aimerais avoir des partenaires pour soutenir ces initiatives, qui permettent de donner une force à la parole et qui unissent les gens.
Je travaille également sur un projet de concours littéraire avec des collègues en France. Le concept a été créé dans mon espace de création et nous travaillons actuellement dessus en espérant lancer la première édition l’année prochaine, inchallah.

Afro Slam : Avant de finir, entre la joie certaine et la tristesse profonde, qu’est-ce qui t’a inspiré tes plus beaux poèmes ?

Inti-Slam : Par rapport à tout ce que j’ai raconté, bien sûr que la tristesse profonde est présente. Mais dans le futur, il y a de fortes chances que je parle également de la joie certaine que je vis actuellement, Dieu merci. Avant, je faisais du slam sans vraiment savoir pourquoi, et cela me dérangeait énormément. J’avoue que c’est en reprenant le slam cette année que j’ai enfin compris pourquoi je le pratique. Cette certitude est venue grâce à la tristesse profonde que j’ai vécue, qui s’est transformée en une joie certaine. Mes textes actuels auront sûrement un impact.

Afro Slam : Enfin, quel message souhaiterais-tu transmettre à ton public et à ceux qui te soutiennent dans ton parcours en tant qu’artiste ?

Inti-Slam : Le message que j’ai pour eux est de ne jamais renoncer à la parole. C’est la seule chose qui nous permet de nous exprimer, de communiquer et de défendre nos droits humains. Sans la parole, qu’on soit une femme ou un homme, nous ne sommes rien. Nous avons tous besoin d’être entendus, peu importe nos points de vue, et c’est ce que j’enseigne à mon public ainsi qu’à tous ceux qui me soutiennent dans mon parcours artistique, tout comme à ceux qui ne le font pas.